Début octobre 2020, sont parues deux publications utilisant la base de données construite grâce à l’enquête épidémiologique et conditions de vie (EpiCov). La première publication décrit la séroprévalence à la Covid en mai 2020 tandis que la deuxième détaille les inégalités sociales à l’époque du coronavirus. Chacune d’elles apporte un éclairage spécifique sur l’impact de la Covid en France chez les personnes ayant un lien à la migration (les personnes immigrées ou descendantes d’au moins un immigré), en comparaison des personnes sans lien à la migration.
L’EpiCov est d’abord une réalisation scientifique et technique remarquable, menée en collaboration avec de nombreux organismes scientifiques et les services statistiques compétents. Cette enquête a permis d’interroger 135 000 personnes représentatives de la population française métropolitaine, d’où la publication, d’ores et déjà, de nombreux résultats significatifs. Ainsi, il est possible de produire des informations concernant les personnes ayant un lien à la migration, suivant que leur origine est européenne ou non.
L’enquête est réalisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et la Direction de la recherche des études et des enquêtes statistiques (DREES), service statistique rattaché au ministère des solidarités et de la santé. Elle bénéficie des appuis de Santé publique France et l’Insee et son conseil scientifique rassemble de nombreux organismes de recherche. Outre les 135 000 personnes interrogées, elle a permis de faire passer un test de sérologie au SARS-Cov2 (virus de la Covid19) à 12 400 personnes.
Les études proposent des statistiques brutes, comme le pourcentage de personnes dans une situation, par exemple positives à la Covid, suivant leur lien ou absence de lien à la migration, et surtout des analyses ajustées permettant d’apprécier séparément les effets de chaque situation. Par exemple, les personnes immigrées ayant en moyenne des revenus plus bas que les personnes sans lien à la migration, ces statistiques ajustées permettent de distinguer, à revenu égal, la différence qui subsiste entre les premiers et les seconds.
Séroprévalence à la Covid plutôt en lien avec les conditions de vie
En mai 2020, 4,5 % de la population française avait développé des anticorps contre le coronavirus, ce qui signifie avoir été infecté par ce virus (avec ou sans symptômes). Cette proportion était de 9,4 % pour les personnes immigrées nées hors d’Europe et de 6,2 % pour les descendant·es d’au moins une personne immigrée née hors d’Europe. Une fois prises en compte de nombreuses caractéristiques socio-démographiques et économiques, la différence était à peine significative entre les personnes sans lien à la migration d’une part et les personnes immigrées d’autre part. Elle n’était plus du tout significative entre les personnes sans lien à la migration et les descendant·es d’immigrés. Ce sont donc les conditions de vie qui « expliquent » essentiellement la surreprésentation des personnes immigrées nées hors d’Europe parmi celles ayant été infectées par ce virus.
L’habitat en commune très dense
Près de 39% de la population française âgée de 15 à 64 ans habitent dans une « commune très dense ». Ce taux est de 47 % pour les personnes immigrées nées hors d’Europe et de 72 % pour celles descendant d’au moins un parent immigré né hors d’Europe. Après ajustement sur le sexe, l’âge, le niveau de revenu et la profession, la probabilité pour les personnes immigrées nées hors d’Europe de vivre dans une commune très dense est environ 6 fois plus forte que pour les personnes sans lien à la migration, et 4,5 fois plus forte pour les personnes descendant d’au moins un parent immigré né hors d’Europe. Or habiter en commune très dense est corrélé tant au fait d’avoir été infecté par le virus de la Covid qu’à une surmortalité liée à ce virus.
Le surpeuplement du logement
Vivre dans un logement surpeuplé est aussi corrélé au fait d’avoir été infecté par le virus (surtout si une autre personne du logement l’a aussi été). Près de 14% de la population française âgée de 15 à 64 ans habitent dans un logement surpeuplé. Ce taux est de 41 % pour les personnes immigrées nées hors d’Europe et de 21 % pour celles descendant d’au moins un parent immigré né hors d’Europe. Après analyse ajustée, la probabilité d’habiter un logement surpeuplé est 5 fois plus importante pour les personnes immigrées nées hors d’Europe par rapport aux personnes sans lien avec la migration et 3 fois plus importante pour les personnes descendant d’au moins un parent immigré né hors d’Europe. Quand on cumule effet de l’origine et effet des revenus, on observe qu’une personne immigrée pauvre à 20 fois plus de risque de vivre dans un logement surpeuplé qu’une personne très aisée non immigrée.
Les conséquences financières
L’étude produit aussi des informations sur la part des personnes affirmant que leurs conditions financières se sont dégradées au printemps 2020. Le taux d’ensemble est de 29 %. Ce taux est de 39 % pour les personnes immigrées nées hors d’Europe et de 34 % pour les personnes descendant d’au moins un parent immigré né hors d’Europe. L’analyse ajustée montre que ceux qui ont le plus souffert de pertes de revenus financiers sont ceux qui ont le moins de revenus et les plus jeunes, deux catégories où les personnes immigrées et leurs descendant·es sont plus nombreux. Cependant, même en tenant compte des différences de revenus et d’âge, ces deux groupes ont connu une dégradation de leurs revenus plus importante que les personnes sans lien à la migration.
L’exposition à la Covid : d’abord des facteurs sociaux qui concernent souvent les personnes ayant un lien à la migration
Ainsi, les personnes ayant un lien avec une migration d’origine extra-européenne cumulent divers désavantages des conditions de vie. Celles-ci les ont davantage exposées à la Covid-19 lors de la première vague épidémique du printemps 2020. Ces groupes d’individus ont aussi subi de plein fouet la crise économique entraînée par l’épidémie et vu leurs revenus financiers baisser, plus que le reste de la population française. Ce dernier constat est sans doute lié à la plus grande précarité de leurs conditions de travail et à une segmentation de leurs activités professionnelles dans des secteurs particulièrement touchés par la crise. Une deuxième vague d’enquête a été réalisée à l’automne 2020. Elle permettra d’analyser finement les rapports entre activités professionnelles, exposition à l’épidémie et impact social et économique.
Désinfox-Migrations, avec la collaboration d’Annabel Desgrées du Loû, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement