Non, les politiques européennes n’encouragent pas l’immigration mais visent à contrôler et prévenir les arrivées

Les politiques européennes encourageraient, voire favoriseraient, l’immigration selon les responsables politiques et les élu.e.s d’extrême droite. Cette affirmation est une infox. En effet, loin de faciliter les migrations vers l’Union européenne, les politiques européennes semblent surtout tournées vers le contrôle des frontières extérieures et la prévention des migrations non “choisies”, notamment en opérant “un tri” en dehors du territoire européen ou à ses frontières (1). 

Par Camille Gendrot, Fellow de l’Institut Convergences Migrations 

Les hotspots, maillon d’une politique européenne de contrôle

De Moria à Lampedusa, l’approche hotspots est un maillon d’une politique européenne qui vise à bloquer les départs depuis les États d’origine ou de transit des personnes migrantes (2), à intercepter les arrivées (3) et, en dernier recours, à renforcer la célérité et l’efficacité des expulsions (4). Les hotspots sont les résultats de choix politiques de l’Union européenne face à l’augmentation des arrivées de personnes en migration dans la période 2014-2016. Ils sont un outil permettant de bloquer aux frontières les personnes, en espérant pouvoir les renvoyer vers la Turquie, et les autres pays dits « tiers sûrs », par le jeu de déclarations ou d’accords de coopération (5).

« Aujourd’hui, les hotspots sont au service d’une stratégie précise : de la dissuasion et de la terreur. Il s’agit d’inspirer un effroi tel que les persécutés renonceraient à quitter leur pays. […] Les sinistres bureaucrates de l’UE espèrent que cette stratégie dissuadera les candidats (6). »

Jean Ziegler, sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis 2009.

Loin d’être un phénomène isolé face à une « crise » mal nommée, les hotspots s’inscrivent dans une logique de gestion de l’immigration et de l’asile constante depuis les années 1990.

La fermeture des frontières extérieures : une contrepartie de la libre circulation?

Entre 1985 et 1990 naît l’espace de libre circulation Schengen qui supprime les contrôles aux frontières internes. Pour beaucoup, la contrepartie de cette ouverture devait être le renforcement des contrôles contre le terrorisme, le grand banditisme, les trafics, mais également contre l’immigration irrégulière.

En 1992, avec le Traité de Maastricht, l’immigration et l’asile deviennent des questions « d’intérêt commun » pour les États membres qui adoptent alors différentes résolutions afin de rapprocher leurs législations. Ces résolutions non contraignantes sont rapidement jugées par les États comme insuffisantes : ils décident donc en 1997 de « communautariser » ces questions (7), c’est-à-dire de transférer certaines compétences en matière d’immigration et d’asile à la Communauté européenne (8).

Le Traité d’Amsterdam prévoyait que les règlements et les directives (9) devaient porter sur trois matières : l’asile, la circulation des personnes (politiques de gestion des frontières communes et des visas) et l’intégration des ressortissants des pays tiers. Comme le note Danièle Lochak, « l’essentiel de l’activité s’est concentré sur la lutte contre l’immigration clandestine et la protection des frontières, au détriment du volet intégration » (10).

Des politiques nationales plus restrictives

Loin des idées reçues sur un prétendu encouragement de l’immigration par les politiques européennes, ces dernières ont souvent été un outil, pour les États, de durcissement des politiques nationales en matière d’intégration.

Un exemple particulièrement révélateur est le cas du resserrement des conditions d’accès au regroupement familial en France par les lois de 2003 et 2006. Nicolas Sarkozy justifia la suppression de l’accès direct à la carte de résident pour les conjoints et enfants ayant bénéficié du regroupement familial en invoquant la directive européenne du 22 septembre 2003 (11). Cette directive, en posant des normes minimales, a alors été utilisée par le gouvernement français pour niveler par le bas la législation en matière de regroupement familial.

L’externalisation du contrôle des frontières européennes

Concernant le contrôle des frontières et des arrivées sur le territoire de l’espace Schengen, les institutions européennes ont adopté de nombreux instruments normatifs. L’essentiel de ces normes suit une logique, soutenue par les États membres, de mise à distance des personnes migrantes dont l’externalisation des opérations de contrôle des frontières est emblématique.

Une telle politique a pour objectif d’empêcher les personnes en migration d’atteindre les frontières physiques de l’Union européenne et, pour les États membres, de ne pas avoir à gérer leur accueil, y compris lorsqu’elles sont en recherche de protection internationale (12). Les organes européens ont institutionnalisé cette politique en 2004 (13) par l’inscription d’un volet « dimension externe de la politique d’immigration et d’asile » à leur agenda.

Il s’agit de renforcer la délocalisation des contrôles et de sous-traiter la politique européenne à des États non-européens (14). Ces politiques de mise à distance des personnes migrantes prennent des formes multiples : sanctions aux transporteurs (15), accord UE-Turquie de mars 2006 (16), soutien matériel pour favoriser les pull-backs (17) vers la Libye ou encore création d’un « centre polyvalent pilote » à Agadez au Niger (18).

Nouvelle étape de cette logique, le Pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission en septembre 2020 qui conforte la cohérence de la politique européenne en la matière (19).

Notes 

  1. Ce « tri » s’opère par la politique des visas, mais également, concernant les demandeur.se.s d’asile, par les programmes de réinstallation. À ce sujet, voyez par exemple : Raffin-Tissier M., « Réinstallation – Admission humanitaire : solutions d’avenir pour protéger les réfugiés ou cheval de Troie du droit international des réfugiés ? », Revue des droits de l’homme, nº 13, 2018.
  2. Par exemple, par l’externalisation des contrôles migratoires.
  3. Particulièrement par le programme de l’Agence Frontex. L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) a été créée en 2004 afin de soutenir les États membres de l’Union européenne et les pays associés à l’espace Schengen dans le contrôle des frontières extérieures de l’espace de libre circulation de l’UE.
    Sur le sujet, voyez par exemple, Chevalier-Govers C. et Tinière R., De Frontex à Frontex. Vers l’émergence d’un service européen des garde-côtes et garde-frontières, Bruylant, 2019, 298 p.
  4. Par la conclusion d’accords de réadmission avec les pays tiers ou encore la mise en place de vols « charters ».
  5. Voyez à ce sujet, par exemple, États généraux des migrations (EGM), En finir avec les idées fausses sur les migrations, texte de Sophie-Anne Bisiaux, Les éditions de l’Atelier, 2021, particulièrement pp. 133-145.
  6. Ziegler J., « Lesbos, la honte de l’Europe », 2020, p. 128.
  7. Traité d’Amsterdam de 1997, entré en vigueur le 1999.
  8. Devenue l’Union européenne en 2009 avec le Traité de Lisbonne.
  9. Ces instruments normatifs sont contraignants pour les États membres. Si les règlements sont directement applicables par les États, les directives, quant à elles, nécessitent d’être transposées dans les législations nationales.
  10. Lochak D., « Face aux migrants : État de droit ou état de siège ? », entretien mené par Bertrand R., Éditions Textuel, Coll. Conversations pour demain, 2007, pp. 85-110, part. p. 88.
  11. Directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 posant les règles minimales pour les États membres concernant le regroupement familial.
    Pour un autre exemple d’influence réciproque entre droit de l’Union et droit français, voyez Ribémont T., « Décourager les demandeurs d’asile ? Quand les conditions d’accueil en France se veulent plus « directives ». Analyse du droit à l’hébergement dans la loi du 29 juillet 2015 », Revue des droits de l’homme, nº 13, 2018.
  12. Claire Rodier explique que la politique d’externalisation des frontières se caractérise par quatre actions : délocaliser, sous-traiter, privatiser et déresponsabiliser. Pour elle, « il s’agit de contourner les obligations qui pèsent sur les États signataires de la Convention de 1951 [sur le droit d’asile] ou de la Charte des droits fondamentaux de l’UE de 2000, en particulier le principe de non-refoulement, une attitude qui n’est ni nouvelle, ni propre aux pays européens dans la gestion des questions migratoires et de l’asile ».
    Rodier C., « Externalisation de l’asile : concept, évolution, mécanismes », in GISTI, Le droit d’asile à l’épreuve de l’externalisation des politiques migratoires, novembre 2020, pp. 19-34.
  13. Sommet européen de la Haye, 4-5 novembre 2004.
  14. Sur un partenariat particulier, voy. par exemple, Boyer F. et Chappart P., « Les frontières européennes au Niger », Vacarme, nº 83, 2018 ; ARCI, « La relation dangereuse entre migration, développement et sécurité pour externaliser les frontières en Afrique. Les cas du Soudan, du Niger et de la Tunisie », Rapport rédigé par Sara Prestianni, juillet 2018, ; FTDES/Migreurop, « Politiques du non-accueil en Tunisie. Des acteurs humanitaires au service des politiques sécuritaires européennes », Rapport conjoint de mission rédigé par Sophie-Anne Bisiaux, Juin 2020.
  15. Lentaro C., « La politique de sanction des transporteurs », in Icard P. (dir.), Les flux migratoires au sein de l’Union européenne, Bruylant, 2017.
  16. Pillant L., « Répression à la frontière gréco-turque », et Preiss N., « La Turquie, sas d’une Europe verrouillée », in Migreurop, Atlas des migrants en Europe. Approches critiques des politiques migratoires, Armand Colin, 2017, pp. 100-103.
  17. Les pull-backs correspondent aux opérations menées par les garde-côtes, ici libyens, afin d’intercepter les bateaux de personnes migrantes dans les eaux territoriales libyennes afin de les ramener sur le territoire libyen.
  18. Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Un agenda européen en matière de migration, 13 mai 2015, COM (2015) 240 final : « Un centre polyvalent pilote sera créé au Niger d’ici à la fin de l’année. En collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le HCR et les autorités nigériennes, le centre devra à la fois fournir des informations, assurer une protection au niveau local et offrir des possibilités de réinstallation aux personnes dans le besoin. L’existence de ces centres dans les pays d’origine ou de transit permettra de donner aux migrants une idée précise des chances de réussite de leur voyage et d’offrir à ceux qui sont en situation irrégulière des solutions d’assistance au retour volontaire. » Cette initiative sera reprise, lors du Sommet sur la migration des 11 et 12 novembre 2015, dans le cadre du Plan d’action de la Valette.
    Pour plus d’informations critiques sur la coopération entre l’Union européenne et les États africains, voyez par exemple : La Cimade/Loujna Tounkaranké/Migreurop, « Coopération EU-Afrique sur les migrations, chronique d’un chantage. Décryptage des instruments financiers et politiques de l’Union européenne », Rapport d’observation, 2017.
  19. Voyez par exemple, l’analyse d’EuroMed Droits, « A “Fresh strat” for human rights violations, Analysis of the EU Pact on Migration and Asylum », Octobre 2020.
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