L’invisibilisation des artistes arabes en Occident, par Perin Yavuz

Intéressons-nous aujourd’hui à l’histoire de l’art où la relecture des faits est un exercice comparable à celui du fact-checking. Nous allons revenir sur l’absence des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient dans l’histoire de l’art abstrait pendant la période d’après-guerre en France. Sont-ils absents parce que, selon une idée répandue jusque dans le monde de l’art, il n’y en a pas eu ?

Lorsque l’on parcourt les chroniques de l’époque se dessine le portrait d’une scène artistique conforme à l’imaginaire de Paris, capitale artistique internationale où convergent les artistes de tous les continents pour se former et goûter à l’esprit d’avant-garde. Mais, à deux ou trois exceptions, les artistes issus du Moyen-Orient n’y apparaissent pas, comme si Paris n’avait pas été une destination pour eux.

Pourtant, lorsque l’on plonge dans les archives des galeries, de l’école des beaux-arts et des salons, on voit apparaître ces noms d’artistes abstraits aux consonances turques, persanes et arabes.

Beaucoup de ces artistes étaient très bien insérés dans la scène artistique parisienne. Souvent venus grâce à des bourses de l’État français ou bien de leur pays, ils naviguaient entre les Beaux-arts et les académies privées, où ils tissaient des liens avec d’autres artistes de la scène parisienne puis se professionnalisaient en participant à des expositions collectives et aux salons, décrochaient des financements publics, travaillaient avec des galeristes et étaient achetés par les collectionneurs.

Alors comment expliquer que ces artistes ont été ainsi invisibilisés dans l’histoire de l’art abstrait en France ?

Il y a d’abord les trajectoires des artistes dont certains sont rentrés dans leur pays pour y poursuivre leur carrière, quand ceux restés en France ont pu être confrontés à des conditions de vie difficiles.

Il y a aussi le rôle des critiques d’art et des historiens de l’art qui ont pu regarder cette production avec distance même si quelques grandes figures de la critique d’art ont témoigné d’un réel intérêt pour cette communauté d’artistes.

On peut aussi supposer que des événements historiques majeurs ont eu un poids sur la réception de ces artistes au sein de la scène française : les conséquences de la guerre d’Algérie avec la décolonisation en 1962, la Guerre des Six jours en 1967 suite à laquelle l’artiste Hamed Abdallah se rappelait avoir vu les portes se fermer malgré l’importance de sa carrière internationale, enfin, l’arrivée d’une immigration de travailleurs maghrébins et turcs dans les années 1970 a pu aussi participer au changement des perceptions.

Si, aujourd’hui la nouvelle génération des artistes issus du Moyen-Orient bénéficient d’une visibilité accrue par l’émergence d’un art globalisé, il reste à poursuivre ce travail d’inclusion de leurs aînés qui ont aussi fait l’histoire de l’art abstrait en France.

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