L’intégration des étrangers en France et en Allemagne

Vidéo réalisée en partenariat avec la Heinrich-Böll-Stiftung Paris Réalisation : Émilie Blondy et Perin Emel Yavuz Désinfox-Migrations — CC-BY-NC-ND — 2023

Depuis les années 2000, l’Allemagne s’est distinguée en Europe par sa « Willkommenskultur » – culture de l’accueil –. Cette prise de conscience s’est faite sous l’impulsion du patronat afin de retenir la main d’œuvre immigrée dont elle avait besoin. Ainsi, les lois régissant l’accueil des étrangers s’en est-elle trouvée transformée.

En France, dont l’immigration est plus ancienne, l’intégration par assimilation a prédominé dans les années 1980, sous la poussée du Front national. Aujourd’hui l’intégration est abordée sous l’angle de la lutte contre les discriminations mais les moyens restent insuffisants et les discriminations économiques notamment s’enracinent.

Comment ces modèles ont-ils évolué ces dernières décennies et comment sont-ils considérés aujourd’hui ?

On fait le point avec Évelyne Ribert, sociologue et chercheuse au CNRS, et Catherine Perron, politiste et chercheuse au CERI Sciences Po.

Comment est traitée l’intégration dans le débat public en France ?

Le traitement des questions d’intégration dans le débat public en France ne se fait qu’à travers un seul aspect : la question du partage des normes et des valeurs françaises par les étrangers, avec en toile de fond la question de l’islam.

Cet usage du terme intégration date des années 1980, période au cours de laquelle le nombre d’étrangers en France est stabilisé, où on a pris conscience du fait qu’ils allaient rester et où il y a eu une forte croissance du Front national qui a fait de l’immigration son thème de prédilection.

Or, cet usage ne correspond pas du tout à celui des sociologues qui se servent du concept d’intégration pour qualifier la société dans son ensemble et non pas les individus. C’est aussi un non-sens de parler d’intégration des enfants d’étrangers dans la mesure où ils sont nés en France et ils deviennent français automatiquement.

Quelle est l’évolution de l’intégration des personnes étrangères en France ces dernières décennies ?

L’intégration recouvre différentes dimensions : l’intégration socio-économique, la maîtrise de la langue et aussi la possibilité d’une ascension sociale. Il ressort de l’enquête Trajectoires et Origines (Ined), menée auprès de 21 800 personnes en France, que la moitié des étrangers immigrés se sentent français et qu’ils sont les deux tiers pour les immigrés originaires du Maghreb.

On voit donc que l’intégration culturelle et identitaire est extrêmement forte. 41 % des immigrés sont également devenus Français. Le taux de participation électorale de ceux qui sont devenus Français est quasiment identique à celui de la population majoritaire.

Là où l’intégration est, en revanche, moins forte au niveau socio-économique et ce déficit d’intégration économique se retrouve aussi parmi leurs descendants. Les difficultés d’accès à l’emploi et une moindre rémunération montre qu’ils sont victimes de discrimination sur ces deux plans.

Comment l’intégration des étrangers est-elle abordée en Allemagne  ?

Tout d’abord, il faut rappeler que les deux Allemagnes ont intégré 11 millions et demi de réfugiés dans l’après Seconde Guerre mondiale et que ces personnes ont bénéficié de mesures d’intégration socio-économique, d’une reconnaissance culturelle et d’un accès à la nationalité automatique. Pour les autres, c’est plutôt la vision d’une intégration comme assimilation qui a prédominé, c’est-à-dire que ce sont ces personnes qui devaient faire des efforts d’intégration envers la société majoritaire.

Dans les années 2000, il y a eu un changement assez radical qui s’est opéré. Cette prise de conscience a été le fait essentiellement du patronat et des politiques qui, à ce moment-là, ont décrété la nécessité d’une « Willkommenskutur » (culture de l’accueil) parce qu’ils se sont rendus compte que la main d’œuvre que l’on avait attiré ne restait pas en Allemagne si la société allemande ne faisait pas d’efforts en direction de ces personnes pour les intégrer. Cela a commencé par une transformation de la loi sur la nationalité à laquelle est venue s’ajouter aussi une nouvelle vision d’intégration qui a été déclaré devoir de l’État fédéral des Länder et des communes.

La France intègre-t-elle bien les étrangers ?

Dans l’intégration, joue énormément la mise en œuvre de politiques qui la favorisent ainsi que l’attitude par rapport aux migrants qui arrivent. La France n’intègre pas bien les étrangers parce que les moyens alloués aux politiques d’intégration sont insuffisants. Tant que les primo-arrivants n’ont pas le statut de réfugié ou un titre de séjour, ils ne peuvent pas apprendre le français, ce qui les empêche de trouver un travail.

Une fois qu’ils ont obtenu le statut de réfugié. Les moyens alloués aux politiques en direction de ceux qui sont là depuis plus longtemps, notamment en matière de lutte contre les discriminations, sont également insuffisants.

Quel avenir pour la « Willkommenskultur » en Allemagne ?

En 2015, l’Allemagne a connu un afflux très important de personnes. Ce mouvement d’accueil très fort en direction des étrangers s’est essoufflé dans le temps, en particulier après la Saint-Sylvestre de 2015-2016, moment où des agressions sexuelles ont eu lieu. On n’a pas assisté à un retour à une vision assimilationniste, néanmoins l’accent a été mis sur la connaissance par les étrangers des normes culturelles.

Depuis l’automne 2023, on assiste à un durcissement du discours sur l’immigration. Il faut savoir que l’Allemagne a accueilli plus d’un million d’Ukrainiens en 2022 et qu’à cela s’ajoute plus de 280 000 demandeurs d’asile arrivés entre janvier et octobre 2023. Ce qui est en cause, c’est moins le modèle d’intégration que le nombre de personnes à accueillir. On peut voir cela dans le projet de loi actuel visant à simplifier l’accès à la nationalité.

Malgré le nombre de personnes accueillies ces 10 dernières années le climat d’intégration et perçu comme positif ce climat n’a cessé de s’améliorer.

Références

Enquête Trajectoires et Origines, Institut national des études démographiques (INED) https://www.ined.fr/fr/publications/e…

Pour aller plus loin, deux analyses de l’Institut pour la démocratie

— « A-t-on toujours parlé d’intégration ? » https://institut-democratie.eu/2023/1…
— « Pourquoi la lutte contre les discriminations ne s’impose-t-elle pas dans le débat public ? » https://institut-democratie.eu/2023/1…

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