Les OQTF : une politique du chiffre

Bien que la France émette plus d’OQTF que tout autre pays européen et qu’elle expulse proportionnellement plus en rapport avec sa population (0,20 % contre 0,05 % en Allemagne) ou par rapport au nombre estimé de personnes en situation irrégulière (même si ces données sont sous estimées), différents responsables politiques et organismes pseudo-scientifiques multiplient les prises de position au sujet des OQTF, chiffres à l’appui. Or ces chiffres traduisent davantage une stratégie de politique du chiffre et d’affichage politique qu’une politique migratoire rationnelle et efficace. La manipulation des chiffres de l’immigration irrégulière et des expulsions reflète une politisation de la question migratoire plutôt qu’un traitement politique pragmatique et une approche scientifique du phénomène.

Par Hélène Thiollet

Les analyses et prises de position médiatiques sur les OQTF (obligations de quitter le territoire français) sont souvent idéologiquement orientées. Cela n’est pas problématique en soi : il est sain que différentes organisations politiques et think tanks promeuvent diverses visions du monde, à condition d’être transparents. Or, certains organismes prétendent produire des analyses scientifiques alors qu’ils reflètent des positions partisanes. En l’espèce, il s’agit d’imposture et d’une forme indirecte de désinformation. Pour mémoire, la science repose sur des méthodes rigoureuses, des hypothèses explicitement formulées et des publications validées par les pairs. « Scientifique » n’est pas un titre qu’on se donne, c’est une pratique professionnelle quotidienne, exigeante et contrôlée par la communauté scientifique mondiale.
On observe une tendance préoccupante où des institutions politiques usurpent la légitimité de la science ou des chiffres pour légitimer leurs positions, tout en accusant les scientifiques de partialité idéologique. Il est étonnant que cette tactique, pourtant grossière, trouve encore un écho favorable auprès de certains médias et d’une partie de l’opinion publique.


Concernant les OQTF, la France, suivie de l’Allemagne et de la Suède, est en tête des retours d’étrangers en Europe (Eurostat : migr_eirtn). En 2022 et 2023, la France se classe même première en nombre absolu. Si son taux de mise en œuvre reste bas, c’est parce qu’elle émet proportionnellement beaucoup plus d’OQTF que d’autres pays européens (Eurostat : migr_eiord).
Si l’on examine le ratio entre la population nationale et les retours effectifs, la France affiche un chiffre bien plus élevé que celui de l’Allemagne : 0,20 % contre 0,05 % en 2023. Ces données montrent que, malgré un grand nombre d’OQTF non exécutées, la France expulse en proportion bien plus que son voisin.
Alors que certains acteurs politiques concernés pourraient se réjouir de cette performance française en matière d’expulsion, le processus juridico-politique à l’œuvre dans la manufacture de l’irrégularité et des expulsions rend sceptique sur les leçons qu’on peut tirer de ces chiffres.

En effet, un grand nombre de ces OQTF sont inapplicables, car les personnes concernées proviennent de régions considérées comme non sûres par la France ou l’Europe, ou risquent des persécutions, des traitements inhumains ou des tortures en cas de retour. Ces documents administratifs, souvent émis en toute connaissance de leur inapplicabilité, servent principalement des objectifs d’affichage politique et de politique du chiffre, plutôt que d’élaborer des politiques publiques rationnelles et efficaces.
Cette frénésie administrative n’est pas justifiée par un nombre élevé de personnes en situation irrégulière en France. Rapportée à sa population, la France compte seulement 0,17 % de personnes en situation irrégulière, contre 0,31 % en Allemagne (Eurostat). Ces taux, déjà faibles, incluent souvent des individus entrés régulièrement sur le territoire dont la situation administrative a ensuite changé. En dézoomant sur la présence étranger en France, on peut rappeler aussi que les étrangers européens et extra-européens représentent 8,2% de la population, alors qu’ en Allemagne ils représentent 14,6% des habitants et à l’échelle de l’UE 9,2%.


En résumé, la France expulse beaucoup en valeur absolue et en proportion de sa population et par rapport aux autres pays européens. En définitive, c’est peut-être loin des chiffres de la migration, et plutôt dans la politisation de l’immigration et les récits idéologiques véhiculés par un certain nombre de médias qu’il faut chercher les explications de l’inflation politique de la question des OQTF et de l’immigration clandestine.

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