Avec 32 millions de déplacements dûs à des catastrophes climatiques dans le monde, les migrations climatiques ne sont plus un enjeu à venir mais bien une réalité. Comment sont-elles traitées dans le débat médiatique ? Doivent-elles être abordées comme une catégorie à part de migrations ? Finalement, quel véritable défi politique se joue lorsque l’on parle de migrations climatiques aujourd’hui ?
On fait le point avec François Gemenne, politiste et enseignant-chercheur à HEC Paris.
Quel est le traitement des migrations climatiques dans le débat public ?
Dans le débat public en France, les migrations climatiques sont systématiquement présentées comme un risque futur que l’on pourrait encore éviter, comme une catégorie à part qui serait distincte des dynamiques migratoires mondiales et surtout, peut-être, comme une menace qui pèserait sur nos sociétés. Cela me semble s’inscrire dans une rhétorique et un imaginaire profondément xénophobes sur le sujet de l’immigration. On va donc instrumentaliser les migrations climatiques dans le but, évidemment, de convaincre les opinions publiques et les gouvernements de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Sauf que le résultat, malheureusement, risque de conduire les États à davantage refermer leurs frontières plutôt qu’à réduire leurs émissions.
Les migrations climatiques constituent-elles un enjeu futur ?
Présenter les migrations climatiques comme un enjeu futur pose de lourdes questions. D’abord, parce que cela nous conduit à être aveugles aux réalités de ces migrations aujourd’hui. En 2022, il y a eu 32 millions de déplacements liés à des catastrophes climatiques, et donc c’est déjà une réalité. Ensuite, en parler systématiquement au futur, comme s’il s’agissait d’un risque à éviter, ne reconnaît pas le caractère profondément structurel de ces migrations et le fait qu’elles s’insèrent dans des flux migratoires qui existent déjà.
Les migrations climatiques sont-elles une catégorie à part ?
Il me semble que c’est une erreur d’appréhender les migrations climatiques comme une catégorie distincte constituant une part des migrations dites politiques ou économiques. C’est vrai qu’on a parfois tendance à imaginer que le changement climatique créerait à lui seul une nouvelle catégorie de migration. Mais la réalité, c’est que les facteurs environnementaux sont profondément liés aux facteurs économiques, politiques et culturels de migration. En réalité, dans la réalité concrète du terrain, ces motifs de migration se mêlent les uns aux autres, s’influencent mutuellement. Cette catégorisation correspond bien davantage à un souci de légitimer des politiques migratoires de plus en plus restrictives mises en place dans les pays occidentaux, plutôt qu’à décrire empiriquement la réalité du terrain.
Quel véritable défi nous posent les migrations climatiques ?
Le grand défi que nous pose, je crois, la question des migrations climatiques, c’est celui de la définition de notre communauté politique : vis-à-vis de qui estimons-nous que nous avons des responsabilités ? Souvent, nous avons tendance à réduire cette communauté politique à nos frontières nationales. Or, la physique du climat fait que nous sommes tous dépendants les uns des autres. Ce qui se décide ici a des conséquences ailleurs, ce qui se fait ailleurs a des conséquences ici, de la même manière que ce qui arrivera demain dépend d’aujourd’hui, qui lui-même dépend de ce que nous avons décidé hier. Nous sommes donc profondément liés les uns aux autres, à travers les générations et à travers les frontières. Je crois que notre capacité à gouverner à la fois le changement climatique et l’immigration demain dépend de notre capacité à nous projeter au-delà de nos frontières, à définir une communauté politique qui soit véritablement cosmopolitique.