Le Pacte européen sur l’asile et l’immigration sera très probablement adopté avant la fin de l’année 2023. L’opinion publique est-elle suffisamment informée ? Quel est le discours officiel à ce sujet ? Pour répondre à ces questions, nous reviendrons sur les raisons du Pacte qui sont motivées par un besoin de réforme, non sans difficultés puisque les discussions ont débuté en septembre 2020. Des difficultés que l’on rencontre aussi dans le contexte français avec la Loi Asile et immigration. D’ailleurs, la concomitance de légifération à ces deux niveaux interroge sur la cohérence d’ensemble. L’un des objectifs du Pacte est d’assurer le financement de l’externalisation et le co-financement de construction de frontières physiques pour empêcher les personnes d’arriver en Europe. On observe cependant que l’UE n’a pas attendu cette réforme pour avancer dans sa politique d’immigration comme on a pu le voir avec la Tunisie. Cette stratégie d’empêchement des arrivées est un leurre car, comme le montrent nombre de travaux de recherche, on ne peut empêcher les personnes de migrer, d’autant moins avec le changement climatique.
On va sur le terrain avec José Bautista, journaliste à Por Causa (Espagne) pour analyser les enjeux de la fermeture des frontières et la construction des murs à Melila et Ceuta.
Ce qu’il faut retenir
Construction et financement des murs
Les murs frontaliers, comme ceux à Melilla, sont largement financés par l’Espagne et indirectement par l’UE. La construction de ces murs est un business lucratif pour certaines entreprises, principalement des multinationales européennes, dont Thales et Atos. Les murs ont pour but de stopper les flux migratoires, mais Bautista souligne leur inefficacité. Les migrants continuent de trouver des chemins alternatifs, souvent plus dangereux, car arrêter complètement le flux migratoire est impossible. Cette inefficacité est corroborée par des preuves empiriques.
Massacre de Melilla et violence
Le 24 juin 2022, un massacre a eu lieu à la frontière de Melilla, marquant l’un des événements les plus violents enregistrés aux frontières européennes. Environ 2000 personnes ont tenté de franchir le mur, poussées par les autorités marocaines. La réponse violente des forces de sécurité espagnoles et marocaines a illustré que ce ne sont pas les murs qui arrêtent les migrants, mais la force brutale utilisée par les autorités. Bautista note une crise psychologique parmi les agents de sécurité, incapables de gérer la violence qu’on leur demande d’exercer.
Politiques d’externalisation et instrumentalisation des migrants
L’UE finance des régimes autoritaires comme ceux de la Turquie, de la Tunisie, de la Libye et du Maroc pour qu’ils gèrent les flux migratoires, utilisant souvent les migrants comme outils de chantage. Cette pratique est critiquée pour sa myopie complice vis-à-vis des violations des droits de l’homme dans ces pays. Par exemple, l’Espagne, sous la présidence de Fernando Grande-Marlaska, a promis des technologies de surveillance et de l’argent à des pays comme le Sénégal et la Mauritanie pour arrêter les flux migratoires vers les Canaries.
Corruption et opacité
La construction de murs est non seulement inefficace mais aussi un terrain fertile pour la corruption et l’impunité. Bautista explique que d’anciens responsables d’État trouvent souvent des emplois lucratifs dans les entreprises impliquées dans la construction de ces murs, créant un réseau d’intérêts privés et publics corrompus. Les dépenses publiques pour ces infrastructures sont opaques et non rendues publiques, comme dans le cas des 70 km de murs autour de Calais en France.
Le Pacte migratoire européen
Le pacte migratoire européen, actuellement sous la présidence temporaire de l’Espagne, est perçu avec indifférence par le public espagnol. Bautista critique le fait que les politiques migratoires de l’UE se concentrent trop sur l’arrêt des flux migratoires à tout prix, sans respecter les droits de l’homme. Il mentionne la militarisation croissante de Frontex, l’agence de garde-frontières de l’UE, et la promotion des vols de déportation sans garanties, inspirée par les accords bilatéraux de l’Espagne avec la Mauritanie et le Sénégal en 2005.
Accords de déportation avec la Mauritanie et le Sénégal
En 2005, l’Espagne a signé des accords avec la Mauritanie et le Sénégal pour déporter les migrants ayant transité par ces pays vers les îles Canaries. Ces accords permettent à l’Espagne de déporter n’importe quel migrant ayant traversé la Mauritanie, même si ce dernier n’est pas originaire de ce pays. Les droits de l’homme ne sont pas respectés lors de ces déportations, et des pots-de-vin sont payés aux autorités mauritaniennes et sénégalaises pour accepter les migrants déportés. Cette pratique est peu connue du public espagnol mais bien documentée.
Contradictions et défis
Bautista souligne la contradiction entre le besoin économique de l’Espagne de jeunes travailleurs et la politique d’expulsion des migrants. Malgré une population vieillissante et des secteurs économiques en difficulté comme l’agriculture et la santé, l’Espagne continue de dépenser des sommes énormes pour empêcher les migrants d’entrer, alors que ces derniers pourraient contribuer positivement à l’économie.
Conclusion et perspectives
La migration est un processus naturel et humain, impossible à arrêter complètement. José Bautista appelle à une meilleure gestion des flux migratoires basée sur des faits et des droits de l’homme, plutôt que sur des stéréotypes et des peurs. Pour lui, l’information, le journalisme et l’investigation peuvent changer progressivement la perception publique des migrations.
En conclusion, cet entretien met en lumière les échecs des politiques actuelles de l’UE en matière de migration, l’inefficacité des murs frontaliers, et la corruption et les violations des droits de l’homme associées. Il appelle à une réévaluation des approches actuelles et à une gestion plus humaine et transparente des flux migratoires.