« Fake News et Fact-Checking » — Compte-rendu de la 1ère table ronde de Médias, migrations


La Série de rencontres « Médias Migrations : la Fabrique de l’Opinion » est co-organisée par Sciences-Po Ceri (Projet PACE), l’Institut Convergences Migrations et l’association Désinfox-Migrations.

Intervenants : Perin Emel Yavuz, Présidente de Désinfox-Migrations ; Laurent Greilsamer, Journaliste et co-fondateur Le Un ; Emeric Henry, économiste à Sciences Po ; Hélène Thiollet, politiste à Sciences Po ; Julien Pain, Rédacteur en chef et présentateur du Vrai ou Fake sur France Info ; Céline Pitelet, Responsable du fact-checking sur BFMTV ; Tania Racho, Responsable des formations, Les Surligneurs.

Le fact-checking en France : quelles tendances, quelle place des sujets migratoires ? 

Les activités de fact-checking en France se sont fortement développées et structurées depuis 10 ans : les grands médias sont quasiment tous dotés de cellules de fact-checking. 

Par exemple, la cellule de fact-checking de BFM TV, notamment l’émission « 2022 A l’épreuve des faits », et l’émission Vrai ou Fake de France Info, dédient au moins une heure par semaine à vérifier la parole d’un responsable politique. Des médias indépendants ont aussi émergé, c’est le cas du média de legal-checking Les Surligneurs qui s’attache à montrer en quoi de nombreux éléments de discours politiques sont juridiquement faux, notamment sur le sujet de l’immigration. Du côté des réseaux sociaux, Twitter et Facebook ont engagé des prestataires pour vérifier les contenus diffusés.Tous sont amenés régulièrement à traiter des infox sur l’immigration.

Emeric Henry souligne des évolutions notables des thèmes couverts : alors qu’entre 2010 et 2020, les thèmes couverts par les fact-checkers étaient variés – santé, environnement, les migrations représentant 7% en moyenne du total – on observe depuis 2021 une polarisation sur le covid et la vaccination ; le thème des migrations n’occupe que 2% des sujets pris en charge.

Le fact-checking sur les migrations : que peut-on en attendre et pour quel impact ? 

La part de l’immigration dans les discours politiques est variable selon les périodes, mais elle est avant tout corrélée à l’agenda politique et non à la réalité des phénomènes migratoires. Comme le rappelle Hélène Thiollet, le sujet des migrations est avant tout un outil de polarisation médiatique et politique. Au-delà du seul sujet des migrations, l’utilité et l’impact du fact-checking comme outil de lutte contre la désinformation tendent à être minimisés. Par exemple, Emeric Henry souligne qu’aucune des recommandations du rapport Bronner ne porte sur le fact-checking[1].

Une part des résultats des études récentes montre que l’effet le plus significatif du fact-checking consiste à diminuer la circulation des fausses informations, d’environ 45%. De ce point de vue, Emeric Henry fait valoir l’utilité à ce que les réseaux sociaux imposent aux utilisateurs une confirmation de partage afin de diminuer le taux de partage de fausses informations.

Céline Pitelet précise que le fact-checking peut prévenir la reprise de la fausse information par les responsables politiques et fournit la matière aux journalistes pour réagir en direct.

En revanche, les études soulignent aussi qu’il n’y a pas d’impact sur l’impression laissée par la fausse nouvelle, en termes d’intentions de vote, et ce même si les personnes sont convaincues par le contenu de la vérification. Ces résultats s’appliquent à la question migratoire.

D’après l’ensemble des participants l’efficacité des contenus produits dépend aussi du contenu et des angles choisis pour fact-checker. Ainsi, pour Julien Pain,

Bataille des chiffres versus débat de fond et l’apport des chercheurs
La question des chiffres est assez centrale sur le sujet des migrations. Selon Julien Pain, cela pose la question de l’efficacité du fact-checking dans son ensemble et sur les migrations en particulier.

S’il importe de vérifier les chiffres, et de les mettre en perspective pour éviter la circulation de faux chiffres ou de mauvaises interprétations des chiffres, cela ne suffit pas. Céline Pitelet donne l’exemple d’un chiffre indiqué par Eric Zemmour lors d’une interview sur BFMTV : les prisons françaises comptent 25% d’étrangers alors qu’ils ne représentent que 7 % de la population totale. Si ces proportions ne sont pas fausses, elles ne disent rien des causes et phénomènes sociaux associés.

C’est là que les chercheurs jouent pleinement leur rôle, pour apporter des éléments de compréhension sur la surreprésentation des populations étrangères en prison par exemple en mettant ces données en perspective avec leur surreprésentation parmi les catégories les plus pauvres ou les discriminations vécues tout au long de leurs parcours. De même, l’émission Vrai ou Fake de France Info fait tout le temps appel à des chercheurs pour donner du fond, et des éléments de réponse aux questions : « Qui nous désinforme, avec quels objectifs, quelles tendances de fond sur l’immigration ? »

Selon Céline Pitelet l’apport des chercheurs s’est beaucoup structuré :

« Avec Désinfox Migrations par exemple mes interlocuteurs savent vers quels chercheurs m’orienter, les vidéos de l’association montrent que de plus en plus de chercheurs ont conscience de nos contraintes… C’est précieux pour nous. »

Des recommandations pour la campagne présidentielle pour les acteurs de la lutte contre la désinformation sur les migrations

Veiller à l’équilibre entre les sujets vérifiés, ne pas se focaliser sur les migrations en réponse à la surenchère politique sur ce sujet.

Ne pas se contenter de réagir aux infox mais les prévenir, en mettant l’accent sur la formation des journalistes sur les terminologies utilisées – exemple des Surligneurs – et la préparation des journalistes en amont des émissions via des fiches informatives.

Les interventions dans les écoles sont aussi un bon moyen de prévention, à condition de revenir sur les fondamentaux : qu’est-ce qu’un média, un journal d’information, un journaliste ?

Il est important de diversifier les canaux de diffusion du fact-checking, en incluant bien les réseaux sociaux qui constituent la principale source d’informations des jeunes (Instagram, Tiktok).

S’appuyer sur les outils de mise en relation avec les chercheurs spécialisés sur les migrations, en variant les regards, via notamment Désinfox-Migrations ou encore le site des Expertes.

Multiplier au maximum les sources (chercheurs, associations de terrain, institutions…).

Sources et références utilisées (en lien avec les questions posées par les participants)

Notes

Rapport de la commission Bronner « Les lumières à l’ère du numérique ».

EURADIO

Une chronique de 2 minutes et 30 secondes toutes les semaines sur une thématique en lien avec les migrations. 

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