Le « solde migratoire » est une notion largement utilisée dans le débat public sur l’immigration, souvent pour servir un discours factuellement faux « d’immigration massive ». Commençons par définir le solde migratoire : il s’agit de la différence entre le nombre de personnes qui immigrent, c’est-à-dire qui entrent dans un pays, et le nombre de personnes qui émigrent, c’est-à-dire qui quittent ce même pays. Ces personnes sont aussi des nationaux. Pour cette raison, le solde migratoire ne permet pas de mesurer l’immigration, contrairement à l’utilisation qui en est souvent faite par les responsables politiques et les médias.
D’où l’importance de décrypter de cette notion, en partant du cas de la France entre 2014 et 2019*.
Solde migratoire et titres de séjour : quels sont les ordres de grandeur ?
Selon les données produites par les démographes et statisticiens de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le solde migratoire français s’évalue à environ 50 000 personnes par an.
La communication du ministère de l’Intérieur, reprise largement, voire amplifiée par des calculs peu rigoureux, fait état de 250 000 titres de séjours délivrés chaque année.
Si cet écart peut surprendre, voire sembler incohérent, une analyse rigoureuse du solde migratoire tend à montrer que ce paradoxe n’est qu’apparent : le solde migratoire français est tout à fait cohérent avec une délivrance de titres cinq fois plus élevée. Voyons pourquoi.
Des bébés, des décès et… des visiteurs
L’évolution de la population d’un pays, ou évolution démographique, se mesure à l’aune de plusieurs variables : les naissances, les décès et… le solde migratoire.
L’écart entre le nombre de naissances et le nombre de décès entre deux dates est appelé le « solde naturel ». L’addition de ces deux soldes, migratoire et naturel, permet d’apprécier l’évolution, généralement un accroissement, de la population entre deux dates.
Les variables du solde migratoire : décryptage
Le solde migratoire est la différence entre des personnes qui immigrent et des personnes qui émigrent et ces personnes ont des profils divers :
- Il y a d’abord les personnes de nationalité d’un pays hors Union européenne (UE) qui immigrent ou émigrent. On parle de migration tierce, concernant les « pays tiers à l’UE ».
- Il y a ensuite celles et ceux qui relèvent de la « libre circulation », c’est-à-dire les personnes immigrées ou émigrées au sein de l’UE
- Enfin, il y a les nationaux : ce sont les « repatriés », nationaux qui reviennent dans leur pays, et les « expatriés ».
Ainsi, le solde migratoire peut se traduire, mathématiquement, par la formule suivante :
En prenant le cas de la France, entre 2014 et 2019, les données disponibles sont les suivantes :
- On estime à un peu moins de 800 000 personnes le nombre de personnes immigrées venus d’un pays hors UE, tandis que 150 000 ressortissants de ces pays ont quitté la France, soit un solde de 650 000.
- Les personnes ressortissantes de l’UE qui immigrent ou émigrent sont nettement moins nombreuses (surtout en comparaison de l’Allemagne), mais le solde est positif et de l’ordre de 300 000.
- Nombre de Français et Françaises s’expatrient, et ce phénomène est en augmentation (1). Ils et elles seraient 1,4 millions à avoir quitté la France entre 2014 et 2015. Il s’agit de mobilité plus que d’installation permanente à l’étranger : le flux de « repatriation » est presque de moitié. Finalement, ce sont près de 700 000 nationaux qui ont quitté la France.
En conclusion, le solde migratoire de la France serait de 250 000 personnes sur cinq ans, soit environ +50 000 personnes par an.
Mise en perspective européenne : des évolutions démographiques différenciées
L’analyse des variations de soldes, naturel et migratoire, des quatre pays** de l’Union européenne les plus peuplés, montre bien la diversité des situations d’un pays à un autre s’agissant de l’évolution démographique.
Le Royaume-Uni observe une croissance démographique majoritairement due à une immigration soutenue, mais le solde naturel reste positif. La France est assez semblable, à ceci près que l’apport lié au solde naturel est plus important que l’apport migratoire et que, au global, la croissance démographique est modérée. L’Allemagne connaît une croissance démographique soutenue en dépit d’un solde naturel négatif. C’est donc l’immigration qui soutient cette croissance, la venue de réfugiés n’en étant qu’une composante. Enfin, l’Italie se caractérise par un solde naturel négatif que ne compense pas le solde migratoire.
En dépit du vieillissement de la population qui induit une augmentation des décès, un relatif tassement de la fécondité, donc des diminutions des soldes naturels, la France reste l’un des rares pays d’Europe dont la croissance démographique est « tirée » par les naissances, au moins jusqu’en 2019. Notons à ce titre, qu’il y a cinq fois moins de personnes immigrées venues des pays hors UE que de naissances en France.
Les premières données françaises pour 2020 (Insee et ministère de l’Intérieur) laissent penser que l’écart entre solde naturel et solde migratoire s’annule. Il s’agira de déterminer s’il s’agit d’un effet de la crise sanitaire ou une tendance de fond.
S’il ne fallait retenir que trois informations :
- Le solde migratoire est la différence entre le nombre d’entrées dans un pays et le nombre de sorties d’étrangers, européens et de pays tiers, ainsi que de ressortissants français.
- Le solde migratoire n’est pas une mesure de l’immigration puisqu’il tient non seulement compte des départs (émigration) mais aussi des mouvements migratoires des nationaux.
- L’immigration en provenance de pays tiers est un flux annuel de l’ordre de 0,4 %, trois fois moins qu’en Allemagne
*Au 25 mars 2021, les données 2020 ne sont encore que partiellement connues.
**le Royaume-Uni était encore membre de l’Union européenne en 2019
Note
- Trésor-Éco n° 275 (Janvier 2021), » De la France vers le monde : que révèle l’augmentation de l’émigration française ? » (economie.gouv.fr)