Le développement, et par extension l’aide publique au développement, contribuerait à freiner les migrations. Cet argument, qui repose sur une idée reçue, n’est pas nouvelle et revient régulièrement dans les prises de positions sur l’immigration en France et au sein de l’UE. Or, plus un pays se développe, plus ses habitants ont accès à la mobilité.
Par ailleurs, l’aide publique au développement, si elle contribue réellement à une amélioration des conditions de vie, reste bien inférieure aux transferts de fonds des diasporas qui agissent comme un puissant levier de développement dans les pays d’origine, notamment en cas de crises.
Quels sont les liens qui unissent les migrations au développement ? La mobilité ne serait-elle pas aussi une conséquence vertueuse du développement ? Dès lors, comment envisager la coopération avec les pays tiers ?
On fait le point avec Camille Le Coz, analyste politique et directrice associée au Migration Policy Institute Europe
Associer l’aide au développement aux politiques migratoires, est-ce nouveau ?
Le lien entre l’aide publique au développement et les politiques migratoires n’est pas nouveau. Depuis le début des années 2000, voire avant, il existe une volonté d’utiliser l’aide publique au développement pour s’répondre aux causes profondes des migrations et des déplacements forcés. Cette idée a gagné en importance, surtout parmi les politiciens européens, après la « crise » des réfugiés en Europe en 2015. Différents fonds fiduciaires financés par l’Union européenne ont soutenu des projets de développement dans les pays d’origine, de transit et d’accueil des réfugiés dans différentes régions du monde. L’objectif était de créer de meilleures conditions pour les communautés (les communautés hôtes, les communautés de réfugiés, les communautés de migrants) et de s’assurer qu’ils restent là où ils sont et qu’ils ne continuent pas leur route vers l’Europe.
Ensuite, de plus en plus, certains États européens et, dans une certaine mesure, certains représentants de l’Union européenne ont proposé de conditionner l’aide publique au développement à une coopération sur les questions migratoires. Avec un calcul très simple : « si vous ne coopérez pas sur le renforcement des frontières, le retour et la réadmission, on vous coupe l’aide publique au développement ».
Est-il possible de conditionner l’aide au développement à la coopération sur les politiques migratoires ?
Dans les faits, cette conditionnalité est plutôt agitée comme une menace plutôt que mise en pratique. En effet, l’Union européenne et les États membres ont beaucoup d’autres objectifs et enjeux dans leurs relations avec les pays d’origine, les pays tiers. En prenant l’exemple du Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Maroc, on ne peut pas conditionner notre coopération ces États-là à la simple dimension de la coopération sur le retour et la réadmission.
Quelles sont les idées reçues derrière le lien entre migrations et aide au développement ?
On croit souvent qu’en investissant dans différents programmes l’aide publique au développement dans les pays d’origine , en créant de meilleures opportunités économiques, de meilleures infrastructures d’éducation et de santé on va pouvoir mettre un terme aux migrations. En fait, ce que l’on observe, c’est que plus un pays se développe, plus les gens ont aussi accès à la mobilité, que ce soit la mobilité interne (des campagnes vers les villes), régionale et internationale. Au contraire, les personnes les plus pauvres sont souvent les plus immobiles.
Une autre idée reçue, c’est que l’aide publique au développement peut transformer radicalement les pays d’origine et de transit. Pourtant, on sait bien que les transferts de fonds des migrants, qui sont souvent plus importants en volume, qui en cas de crise, comme on l’a vu pendant la pandémie, sont vraiment ce qui constitue une bouée de sauvetage pour les familles de ces migrants. L’aide publique au développement ne permet pas de mettre un terme aux migrations mais contribue véritablement au développement économique, social et écologique de nombreux pays. Par ailleurs, ce que l’on voit, c’est que les migrations, en accompagnant également les diasporas, les communautés de migrants, peut aussi être un formidable levier pour le développement des pays dont les migrants sont originaires.