Le collectif Solidarity Watch travaille sur la criminalisation de la solidarité avec et entre exilés. Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le 20 janvier 2023, la Cour de Cassation confirme la condamnation de Loic Le Dall pour « aide à l’entrée d’un étranger en situation irrégulière en France ». En janvier 2018, alors qu’il traverse la frontière franco-italienne, ce militant est arrêté pour un contrôle de police. La personne d’origine éthiopienne qui l’accompagne est immédiatement renvoyée en Italie. Relaxé par le tribunal correctionnel puis condamné par deux fois en appel, Loic choisit de poursuivre le combat juridique en déposant une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Avec le renforcement accru des contrôles aux frontières à partir de 2015, il n’est pas le seul militant poursuivi devant les tribunaux sur le fondement de l’article L-622-1 du Code à l’Entrée et au Séjour des Etrangers, le CESEDA. Son cas, comme celui de Cédric Herrou ou de Pierre-Alain Mannoni en 2016, avait relancé la lutte contre ce qui a été dénoncé dès 2003 comme le « délit de solidarité ».
En 2018, le Conseil Constitutionnel reconnaît le principe de fraternité comme valeur fondamentale. Dans la foulée, la loi Immigration et Asile, problématique à maintes égards, étend l’immunité humanitaire à l’aide au séjour et à la circulation de personnes exilées sur le territoire. Résultat, le délit de solidarité aurait disparu. Et pourtant l’affaire Le Dall montre qu’il n’en est rien.
Au-delà de la France, la directive européenne dit de « facilitation » mêle toujours « réseaux criminels de trafic d’êtres humains » et actes solidaires désintéressé. En Italie, un décret récemment adopté entrave davantage encore le travail de sauvetage en mer des ONG. D’autres décrets, en France, en Belgique et ailleurs, interdisent la distribution de nourriture dans l’espace public. En Grèce, les travailleurs humanitaires sont régulièrement poursuivis pour « trafic d’êtres humains ». Jusqu’en Afrique de l’Ouest, où l’aide aux migrants est également réprimée. De récents rapports estiment à environ 200 le nombre de personnes poursuivies chaque année en Europe.
Cependant, outre les cas médiatisés et soutenus par des réseaux d’associations, de très nombreuses condamnations restent invisibles. Notre collectif avait enquêté sur la période 2015-2019 dans les Alpes-Maritimes. À cette époque, une dizaine de procès ont été médiatisés, dont ceux de Cédric Herrou ou Loic Le Dall. Or, les chiffres du ministère de l’Intérieur dénombraient entre 100 à 300 personnes jugées chaque année pour « Aide à l’entrée sur le territoire » pour ce seul département. Parmi elles, des personnes qui vont chercher un autre membre de leur famille de l’autre côté de la frontière. Majoritairement ce sont des personnes moins dotées en capital militant, plutôt d’origine étrangère, souvent jugée en comparution immédiate et davantage condamnées.
Si la criminalisation de la solidarité est loin d’avoir disparu, plus de travail demeure nécessaire pour rendre compte et mettre fin à la répression et à la dissuasion de la solidarité avec et entre les personnes exilées.