En sciences sociales, l’approche déterministe est première dans la compréhension des phénomènes migratoires. Elle s’attache à répondre au « pourquoi » de la migration en établissant des schèmes explicatifs. L’une des théories les plus communes est celle du « push and pull ». Il y aurait des facteurs qui inciteraient les individus à partir, « push », et des facteurs qui les attireraient dans d’autres pays, « pull ».
Le facteur de « push » par excellence, désigné par la littérature académique, est la violence. Ainsi les études qui s’inscrivent dans cette approche adoptent la lecture suivant : avec la guerre, les gens fuient. Elle présuppose que les conflits armés sont un facteur prépondérant des déplacements de population. Les approches déterministes s’inscrivent majoritairement à un niveau d’analyse macro-social, macro-politique, voire macro-économique. Elles ont pour intérêt de renseigner sur le produit d’une motivation générale à fuir le conflit en donnant la mesure chiffrée du phénomène, des ordres de grandeur et des représentations de tendance.
Or, s’il y a bien un mouvement général de population pendant les conflits, la relation de dépendance entre les deux phénomènes est simple : elle n’est pas réciproque. Partir implique une menace, mais l’inverse n’est pas vrai, la menace de la guerre ne fait que présupposer un départ. Par ailleurs, ces approches présupposent que dans des situations troublées les personnes seraient en capacité d’évaluer rationnellement les coûts et les bénéfices associés au déplacement et à la migration.
Une telle approche ne permet pas d’expliquer, par exemple, pourquoi l’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis n’entraînent pas, comme les ONG et les organisations internationales s’y étaient préparées, de mouvements importants de population. Ou, plus récemment, pourquoi les réfugiés ukrainiens, pourtant accueillis les bras ouverts par les Etats-membres de l’UE, retournent chez eux sous les bombes.
Pour comprendre les logiques de parcours, dire quelque chose du chemin qui mène à un déplacement prolongé hors de chez soi, à une migration ou précisément à une immobilisation, il est nécessaire de s’écarter des théories des conditions objectives d’un départ pour s’intéresser directement aux points de vue des individus eux-mêmes dans la perspective émique aux arguments qu’ils convoquent de peser de leur propre cas.
La façon dont la question d’un départ peut être ou non posée peut être le produit d’une expérience toujours singulière. En suivant une tradition pragmatiste, il faut alors envisager des causalités génératives, qu’on pourrait également qualifier d’« émergentistes ». N’ayant pas avoir avec la satisfaction d’une somme de conditions objectives mais avec des sentiments, des affects, des expériences contrôlées par les situations traversées par les individus, déterminées par la possibilité pour ces derniers d’entrer ou non en transaction avec un environnement la façon dont se constitue, pour reprendre un syntagme deleuzien, des « lignes de fuite » dont certaines amènent précisément à un non-départ, ou à un retour.